À Leysin, le durable a son paradis

Avec son nom tiré d’un patois régional, l’épicerie La Guintsette – qui se veut une lucarne sur un mode de consommation plus responsable – ne pouvait que favoriser l’économie locale et les circuits courts. C’est d’ailleurs ce qui fait son ADN, avec une préférence pour les produits bios, naturels et issus de productions respectueuses de l’homme et de l’environnement. La Guintsette, c’est l’écrin qu’Élisa Giorgis s’est créé pour y défendre ses valeurs de proximité et y vendre ses productions artisanales aux côtés d’une ribambelle de producteurs dénichés pour la qualité de leurs produits et le plus localement possible.

A mon arrivée à Leysin, il fait froid et la journée s’est drapée dans la météo d’un printemps qui peine à s’installer, alternant éclaircies et giboulées, encore de saison à cette période de l’année. Nous sommes en mars, et en altitude encore plus qu’ailleurs l’hiver a tendance à traîner des pieds au printemps, alors qu’en plaine certains bourgeons profitent déjà d’une douceur précoce et bienvenue.

Des savons au lait de brebis

De douceur il sera question dès mon arrivée à La Guintsette, puisque je tombe à pic pour assister à la fabrication de savons au lait de brebis, l’une des spécialités d’Élisa qui m’accueille chaleureusement à mon arrivée dans sa belle épicerie avant de m’emmener pour une démonstration de son savoir-faire dans l’arrière boutique qui lui sert de laboratoire.

Le lait utilisé pour les savons provient d’une ferme locale et tous les ingrédients qui interviennent dans sa recette sont évidemment naturels. Ici pas de colorants ni de parfums, tout au plus ici et là quelques gouttes d’huiles essentielles, mais utilisées avec parcimonie et uniquement de celles dont les vertus ne font pas de tort à l’épiderme.

Elle utilise du lait de brebis reconnu pour ses vertus particulières qui en font un soin parfaitement adapté aux peaux sensibles qu’il nettoie sans les agresser. Très riche en matières grasses et en protéines, il est apprécié pour ses propriétés apaisantes et adoucissantes et confère à la peau une texture délicieusement soyeuse.

Après avoir été saponifié à froid, le lait de brebis est ensuite versé dans des moules souples qui donneront au savon sa forme puis, après une dernière pincée de fleurs décoratives, les moules sont placés en réfrigération où les savons durciront doucement avant d’être vendus sur place ainsi que dans un réseau d’épiceries partenaires.

Anciennement chez Monique

Ce n’est qu’une fois cette tâche hebdomadaire accomplie qu’Élisa peut enfin se lancer dans une description de son épicerie et de sa genèse. Avec un passé d’enseignante et un diplôme d’ethnologue en poche, elle a pas mal bourlingué avant de poser ses valises à Leysin où elle commencera à fabriquer ses fameux savons avec le lait des brebis que son conjoint d’alors élève dans sa ferme.

Celle-ci accueillant chaque année des marchés artisanaux au succès croissant, l’ouverture d’une épicerie locale leur apparait alors comme une suite logique lorsqu’une connaissance leur parle d’un local vide disponible à Leysin – là où se tenait d’ailleurs à l’époque l’épicerie Chez Monique – et à leur disposition s’ils le désirent.

Le temps d’un financement participatif et en trois mois l’adresse est lancée. Élisa a déjà un bagage qui lui sera utile au quotidien : elle a vendu des bonbons en vrac et travaillé dans divers commerces – notamment lorsqu’elle était étudiante – et acquérir sur le tas les connaissances qui lui manquent fait partie de ses compétences et n’est pas de nature à lui faire peur.

Un apprentissage qui se fera encore plus rapidement que prévu, puisque peu de temps après l’ouverture de l’épicerie le monde se verra terrassé par un virus qui, bien que microscopique, aura un effet dévastateur sur bien des pans de l’économie. Heureusement pour La Guintsette, le secteur alimentaire est de ceux qui tireront bien leur épingle du jeu – en particulier pour les acteurs du secteur bio et local – à condition toutefois de savoir s’adapter à des habitudes de consommation en constante évolution.

Active et dynamique

Et c’est sans doute ce qui fait la force d’Élisa et de sa Guintsette. Active et dynamique, elle est très présente sur les réseaux sociaux, une nécessité pour se faire connaître de manière extra-locale et profiter ainsi de la clientèle touristique qui vient nombreuse à Leysin ainsi que celles et ceux qui y ont un pied à terre secondaire.

Elle a aussi mis en place sur son site internet un service de commandes avec possibilité de livraison à Leysin même, ainsi que vers deux points de dépôt mis en place aux Mosses et aux Diablerets, ce qui lui permet d’élargir son périmètre et de toucher ainsi une clientèle sensible à ses valeurs mais qui sans cette possibilité ne ferait peut-être pas le déplacement jusqu’à La Guintsette pour y faire ses courses.

Ses valeurs justement, qui sont le fondement de l’identité et de l’assortiment de l’épicerie. Des valeurs qui ont tendance toutefois à la pousser parfois au désespoir quand elle voit à quel point celles-ci peuvent être bafouées dans la grande distribution, elle qui de son côté s’attache à respecter les saisons en ne vendant pas de fruits et légumes ayant nécessité d’immenses quantités d’énergie pour être produits en dehors de leur temporalité naturelle. Ou qu’elle veille à ce que sa clientèle puisse se nourrir avec des produits sains et naturels et surtout éviter tout ce qui a été ultra-transformé, comme c’est trop souvent le cas quand on vend des biens issus de l’industrie agro-alimentaire. Ce qui n’est évidemment pas le cas ici.

Adepte du zéro déchet

Elle attache aussi beaucoup d’importance à réduire au maximum ses déchets et dans ce but elle prend soin de valoriser au mieux fruits et légumes quand ceux-ci perdent de leur attrait pour en faire par exemple des bocaux de légumes vinaigrés ou des confitures.

Une activité qui a l’avantage de compléter son assortiment et ses revenus, de minimiser ses pertes et son gaspillage et de la tenir occupée lors des périodes creuses, inévitables en région touristique et encore plus en montagne lorsque la météo n’invite qu’à une choses : rester chez soi. Ce qu’elle confirme en affirmant : “Je crois que je ne tiendrais pas si je n’avais pas ces activités à côté. Il y a des jours, quand il y a des tempêtes pas possibles, il y a deux clients. Donc il faut qu’il y ait autre chose à faire pour ne pas rester là à attendre que quelqu’un vienne”.

Des prix justes

Malgré une indéniable mais lente évolution des mœurs, nombreuses sont encore les femmes qui font les course pour le ménage et la clientèle de La Guintsette n’y fait pas exception avec une majorité de clientèle féminine. Avec une constante toutefois, l’envie de manger – et de faire manger! – des produits sains et de qualité. Quitte à payer parfois un peu plus cher.

Ce qui toutefois n’est pas autant le cas que ce que beaucoup ont tendance à penser et le cliché du supermarché meilleur marché a la vie dure et continue encore de faire de l’ombre aux petites épiceries indépendantes.

Car si certains produits ont effectivement ici un prix plus élevé qu’en grande distribution – ce qui s’explique par des coûts de production plus importants dus à la cherté de la vie en Suisse mais aussi une meilleure qualité nutritionnelle – nombreux sont les produits qui sont ici à prix égal voir moins élevé que ce qu’on peut trouver en grande surface, en raison notamment d’une plus grande frugalité pratiquée sur les marges perçues.

On rappellera les nombreux scandales qui ont éclaté ces derniers temps et qui nous ont dévoilé à quel point les marges pratiquées par certaines grandes chaînes nationales sur les légumes bios ou les produits laitiers peuvent friser l’indécence, ceci au détriment des producteurs et des consommateurs.

Des pratiques qui n’ont évidemment pas lieu à La Guintsette, où Élisa préfère, dans un but de respect et d’équité envers ses fournisseurs, accepter les prix d’achat qui lui sont proposés tout en fixant ses prix de vente de manière à ce qu’ils restent doux et qu’ils soient les plus justes possible.

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